RAMBLIN’ MAN IN THE SKY! ADIEU DICKEY BETTS!



Le 18 avril 2024, le génial guitariste a quitté ce monde à l’âge de 80 ans, un beau score pour un héros des temps anciens du rock sudiste.

Et là, ça y est ! On peut maintenant affirmer que l’histoire de ce courant musical est en train de s’achever. Il n’y a plus de légendes, plus de survivants. Oh, des bons musiciens, ce n’est pas ce qui manque. On balance un coup de botte dans une poubelle et il en sort huit mille d’un coup. Mais les vrais rockers, c’est fini !
L’Aventure aussi !

D’accord, les musicos d’aujourd’hui sont doués. Mais ils n’ont rien inventé. Ils se contentent de ressortir les plans des vieux maîtres à la perfection (encore plus facile depuis l’avènement d’internet). Et puis ils sont sages, trop sages. Sortis de scène, ils se dépêchent de rentrer chez eux pour embrasser leur maman ou nourrir leur chat. Passionnant ! Il faut se faire une raison, la grande époque est terminée.

Dickey, c’était le dernier vétéran emblématique de l’Allman Brothers Band, groupe mythique qui a démarré la saga du rock sudiste (bien sûr, le batteur Jaimoe est toujours là mais sa notoriété est moins grande).
Et comme l’écrit Alan Paul (auteur de deux livres sur l’ABB), Dickey était un membre essentiel d’une formation nommée d’après le patronyme de deux autres personnes. Et ça, il faut le faire !

Quand on parle de l’ABB, le nom de Duane Allman surgit à chaque fois. Un guitariste incontournable et novateur, entré tragiquement dans la légende suite à un accident de moto.
Mais on oublie souvent une chose très importante : c’est Duane qui a désiré que Dickey rejoigne son groupe.

Si Duane était plutôt un musicien instinctif et passionné de blues, Dickey possédait une meilleure technique associé à un merveilleux sens de la mélodie. Il avait également un feeling plus country. En effet, son père était un violoniste de bluegrass et Dickey a baigné très tôt dans la musique du Kentucky et dans le western swing. Poussé par son paternel, il a débuté par le ukulélé. Il s’est ensuite attaqué à la mandoline et au banjo pour finir à la guitare.

En grandissant, Dickey s’est orienté vers le rock. Dans une interview, il raconte qu’il a commencé par travailler à fond le répertoire et le style de Chuck Berry. Il affirme que le grand Chuck a eu autant d’influence sur les jeunes guitaristes à la fin des années cinquante que Jimi Hendrix a pu en avoir sur les gratteux en herbe à la fin des sixties.

Dickey a continué en se plongeant dans la musique de BB King et de Freddie King.
Il a d’ailleurs vu un de ses rêves devenir réalité quand il a tapé le bœuf avec BB King un soir (l’ABB venait tout juste de sortir son premier album). Plus tard, il sera fasciné par Django Reinhardt sans forcément être influencé par le jeu flamboyant du gitan légendaire (Dickey avoue quand même avoir amené une certaine touche de jazz au sein de l’ABB).

Au départ, Duane souhaitait former un « power trio » avec Jaimoe à la batterie et Berry Oakley à la basse. Dickey et Berry se connaissaient depuis longtemps et jouaient aussi ensemble. Duane et Dickey se sont inévitablement croisés et ont commencé à « jammer ». Les deux guitaristes ont rapidement réalisé qu’ils se complétaient à la perfection comme de véritables « frères musicaux ». Dickey apportait la mélodie et Duane enchaînait des harmonies par-dessus. Deux styles différents mais qui se mélangeaient dans une osmose totale. Toujours humble et modeste quand il parlait de son groupe, Duane avait coutume de dire qu’il était le guitariste le plus connu mais que Dickey était le bon guitariste.

Et dès le deuxième album de l’ABB (« Idlewild south » en 1970), Dickey compose un instrumental d’exception que le groupe jouera toujours sur scène, le fameux « In memory of Elizabeth Reed ». Ce morceau lui avait été inspiré par la copine du musicien Boz Scaggs qu’il avait connue à Macon. Ayant eu une relation avec elle, il ne pouvait donner son nom à cette composition. Pour que cette jeune femme reste anonyme, il avait choisi un nom inscrit sur une pierre tombale dans le cimetière où les membres de l’ABB venaient se détendre et jouer en acoustique.

Il apportera aussi la superbe chanson « Blue sky » (qu’il enregistrera avec Duane mais qui ne sortira qu’après le décès de ce dernier), un petit chef-d’œuvre de la musique du Sud.
Selon la formule consacrée, la suite appartient à l’histoire.
Et l’histoire de l’ABB, tout le monde la connaît.

Depuis des dizaines d’années, beaucoup de rumeurs ont circulé sur Dickey. Mauvais caractère, tempérament assez bagarreur, alcoolisme, addiction aux drogues, violences conjugales. Mais on lui a surtout reproché d’avoir récupéré le groupe après la mort de Duane, de l’avoir transformé en son combo personnel.
Il y a peut-être du vrai dans tout ça. Méfiance quand même !

Il ne faut pas oublier que Dickey a porté l’ABB à bout de bras durant les heures sombres après le décès de son fondateur. Il fallait bien que quelqu’un prenne la place de leader pour sortir le groupe de l’ornière et le petit frère Gregg n’avait certainement pas les épaules d’un meneur. Le choix était simple : dissoudre la formation ou continuer coûte que coûte. Et si on arrêtait, que devenaient les musiciens ? Seul Gregg pouvait peut-être s’en sortir sans trop de casse (il avait déjà un album solo à son actif). Dickey aussi, sans doute. Mais les autres ?

Alors Dickey a coiffé le chapeau du chef. Il a bossé une nouvelle manière de jouer et a appris la slide pour que les anciens morceaux restent dans le même esprit. Et surtout, il a beaucoup composé.
Et pour l’album de la résurrection (« Brothers and sisters » en 1973), Dickey a fourni un hit au groupe, le meilleur tube de sa carrière, le célèbre « Ramblin’ man ».

Johnny Sandlin finissait de produire le disque et il lui manquait une chanson. Dickey en avait bien une autre en réserve mais il trouvait qu’elle sonnait un peu trop country. Jouée devant les copains, elle avait été adoptée à l’unanimité et chacun avait rajouté sa partie.

Ce morceau reste à ce jour le plus grand succès de l’ABB.
Une anecdote le prouve de façon incontestable. Dickey était pote depuis longtemps avec Bob Dylan et il avait partagé plusieurs fois la scène avec lui. Un soir, le grand Bob l’invite et lui annonce qu’il va chanter « Ramblin’ man ». Dickey propose de lui écrire les paroles sur un papier. Dylan lui répond alors avec son humour sarcastique : « Je les connais, c’est moi qui aurais dû écrire cette chanson ! ». Un beau compliment !

Et comme si ça ne suffisait pas, Dickey touche au sublime avec l’instrumental « Jessica » (en hommage à sa fille), enregistré avec sa fameuse Les Paul de 1957. Une référence ! Dickey s’était amusé à composer ce titre avec seulement deux doigts pour sonner comme Django (bien entendu, sur scène, Dickey jouait avec tous ses doigts de la main gauche). Il était tellement fasciné par la musique du célèbre manouche que pour son premier disque en solo (« Highway call »), il avait souhaité la participation du violoniste Stéphane Grappelli. Mais le musicien ne voulait pas prendre l’avion, préférant le bateau (ce qui aurait pris deux bons mois de traversée).
Dickey avait envisagé de se rendre à Paris pour enregistrer avec le violoniste, juste avant de rencontrer Vassar Clements à un festival de bluegrass. Une sacrée économie !

Concernant « Jessica », le guitariste Les Dudek (qui avait participé à l’enregistrement de « Brothers and sisters ») a soutenu qu’il avait co-composé ce titre avec Dickey. Cela semble peu probable, cette affirmation ayant d’ailleurs été réfutée par le pianiste Chuck Leavell et le batteur Butch Trucks.

Alors, on pourra dire ce qu’on voudra mais sans Dickey, l’ABB serait peut-être mort prématurément. On peut même avancer qu’il lui a ouvert les portes d’un nouveau succès. Ses collègues peuvent le remercier pour ça. Et puis, Dickey n’a pas balancé les copains à la justice pour éviter les retombées d’une sombre histoire de trafic de drogues, lui. Merci, Gregg (qui avait témoigné lors du procès d’un mec de la sécurité qui bossait pour l’ABB : cette indignité provoquera même la séparation du groupe en 1976) !

Durant des années, Dickey continuera de composer et de faire chanter ses envolées mélodiques à sa guitare. Sur l’album suivant (« Win, lose or draw »), la longue jam de quatorze minutes « High falls » et la belle ballade « Just another love song » le prouvent largement.

Et même pendant la période des « vaches maigres », quand l’inspiration faisait cruellement défaut au groupe, Dickey sera toujours là pour sauver les meubles (la ballade « Sail away » sur le disque tant décrié « Enlightened Rogues »). Il aura encore un sursaut avec « Hell and high water » et l’instrumental « From the madness of the west », sauvant du désastre l’ennuyeux « Reach for the sky ».
Et puis, il va finir par faire comme tout le monde. Baisser les bras, composer à plusieurs des morceaux sans intérêt. Après tout, pourquoi pas ? C’est déjà la grande débandade !

Et l’ABB se sépare une fois de plus au début de 1982. Dickey s’en fout, il a déjà eu une expérience avec son propre groupe Dickey Betts and Great Southern et deux albums à son actif (durant le break précédent de l’ABB).

Il va continuer de tourner et va même de nouveau enregistrer un disque en 1988 avec un autre guitariste de talent qui a joué avec le country man David Allan Coe (étant potes de longue date, Dickey tapera même un solo sur la chanson « Son of the south » de Coe). Ce mec, c’est Warren Haynes. Un gars bourré de talent, certes, mais qui peut largement remercier Dickey de l’avoir propulsé dans les hautes sphères du rock’n’roll en l’emmenant avec lui quand l’ABB se reforme une nouvelle fois en 1989.



L’entourage de Dickey lui disait qu’il était fou de prendre un guitariste aussi bon qui aurait pu lui faire de l’ombre. Dickey a toujours répondu que Warren Haynes le poussait dans ses derniers retranchements et l’obligeait à jouer des choses qu’il n’aurait pas jouées autrement. Il espérait que c’était pareil pour Warren.
Ce qui démontre bien que Dickey n’était pas avide de gloire (il s’est d’ailleurs toujours entouré de grands musiciens, le guitariste Dan Toler n’étant pas non plus un incapable).

Et Dickey refait parler son talent une nouvelle fois quand l’album de la réunification débarque chez les disquaires. Son nom est crédité sur presque tous les morceaux dont « Good clean fun » qui se comportera très bien dans les « charts ». Il signe également la superbe ballade « Seven turns » qui investira aussi les hits parades. Et l’ABB reprendra une fois de plus la route du rock. Jusqu’à ce que Dickey se fasse virer par fax en 2000 (une partie du groupe lui reprochant de jouer trop fort et d’être constamment défoncé). Ce qui a permis au batteur Butch Trucks d’intégrer son neveu en tant que remplaçant. Et là, l’ABB s’est considérablement éloigné de son style si particulier pour s’orienter vers un univers musical proche du jazz-rock.

Car il faut bien l’avouer, sans Dickey, le groupe ne sonnera plus jamais pareil.
Dickey ressentira pendant longtemps une certaine amertume vis-à-vis de Gregg Allman qui ne l’a pas défendu (bon, il paraît qu’ils s’étaient réconciliés avant la mort de Gregg). Ce qui ne l’empêchera pas de remonter une formation avec laquelle il jouera jusqu’à sa retraite, sans doute imposée par son état de santé.

Maintenant, l’homme à la Les Paul appartient à la légende. Et même s’il affirmait que l’ABB n’avait pas grand-chose à voir avec le courant du rock sudiste, Dickey restera à jamais l’image du guitariste sudiste par excellence. Cheveux longs et moustache, chapeau et bottes de cowboy, quelques bagues en argent et turquoises, la Les Paul en bandoulière. Et tout le feeling sudiste ! Un musicien capable de déclencher l’émotion en laissant sonner une note inspirée pendant une poignée de secondes. Voilà comment on se souviendra de Dickey !

Ce n’est pas pour rien qu’il a été cité par Charlie Daniels dans une de ses chansons (« The south’s gonna do it again ») ainsi que par Molly Hatchet dans « Gator country » (est-ce pour cette raison que Dickey a déclaré dans une interview que de tous les groupes étiquetés rock sudiste, c’était Molly Hatchet son préféré ?).
Cameron Crowe avouera lui-même qu’un des personnages de son film « Almost famous » est directement inspiré de Dickey.

Souvent copié mais jamais égalé, son style mélodique restera intemporel.
Le son de sa guitare également. Et le nom de Dickey Betts sera toujours associé à la célèbre guitare Gibson Les Paul. Pourtant, il s’est éloigné pendant un temps de cette marque car il estimait qu’elle ne tenait pas suffisamment compte de l’avis des musiciens (la firme s’est rapidement rapprochée de Dickey en lui proposant un modèle respectant ses conseils). Avec l’ABB, Dickey jouait sur deux Marshall 100 watts à lampe en évitant les pédales d’effets. Il obtenait une distorsion naturelle en agissant sur le volume. Les dernières années, il s’était contenté d’un seul Marshall 50 watts. De toute manière, il testait toujours une guitare sans la brancher. Selon lui, si l’instrument sonnait bien ainsi, il y avait toutes les chances pour qu’il sonne superbement à travers un amplificateur.

Il faut aussi souligner qu’en plus d’être un guitariste d’exception et un compositeur talentueux, Dickey possédait une belle voix (bien qu’il ait toujours clamé le contraire). Il affirmait que c’était Bonnie Bramlett qui lui avait appris à chanter (on peut raisonnablement penser qu’il avait déjà des dons naturels pour cela).

Maintenant qu’il est parti, une seule chose est sûre : Dickey Betts a beaucoup apporté au monde de la musique et il n’est pas prêt d’être oublié. Il a rejoint ses potes de l’Allman Brothers Band pour une improvisation cosmique et éternelle dans un ciel toujours bleu.
Blue sky forever !

Olivier Aubry

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